En 2017, pour la première fois, un manuel de Sciences de la Vie et de la Terre représente correctement un clitoris dans une planche d’anatomie de l’appareil génital féminin. En 2009, 83% des jeunes filles et 68% des garçons de 15 ans ne connaissent pas la fonction de cet organe. Quand on présente une maquette taille réelle du clitoris, certains répondants demandent s’il s’agit d’un oignon. Quand on met ces données en parallèle avec le fait que près de la moitié de la population mondiale possède un clitoris, l’aberration de cette ignorance saute aux yeux. Comment, alors que le clitoris est l’organe central du plaisir féminin, peut-on expliquer cette mise sous silence ? Essayons ici de rétablir la vérité et de comprendre ensemble ce dont il s’agit réellement.
À la fin du 16ème siècle, Mateo Realdo Colombo observe que le clitoris s’allonge et se durcit lors de la stimulation et qu’il est le siège du plaisir sexuel féminin. Il le nomme « clitoris » et se proclame alors comme le premier à le découvrir. Mais, plus de cinq siècles auparavant, les médecins arabes décrivaient déjà très précisément cet organe.
La manière dont le clitoris est perçu et décrit évolue grandement au cours des siècles. Chacun a son avis sur la question : on croit d’abord que le stimuler permet d’améliorer la fertilité (la masturbation est même encouragée par l’Église catholique !) puis les croyances populaires prennent une toute autre tournure. En effet, tout au long du 19ème siècle est pratiquée, aux Etats-Unis et en Europe, la clitoridectomie (cautérisation, section ou écrasement du clitoris), indiquée comme traitement de choix contre l’hystérie, la nymphomanie ou la masturbation.
Finalement, les mentalités finissent par évoluer et la perte du clitoris apparaît comme une réponse disproportionnée à ces soi-disant troubles. Le massage du clitoris est même utilisé comme traitement de l’hystérie, menant à l’invention du premier vibromasseur en 1867 (le film Oh my God ! retrace avec humour cette épopée). Toutefois, en 1880, le milieu scientifique découvre que le clitoris n’a pas de lien ni de fonction dans la reproduction, donc pourquoi alors s’en préoccuper ? Il sera caché et tu jusqu’à la toute fin du 20ème siècle.
Faisons un bond dans le temps : aujourd’hui le clitoris est peint dans les rues, brandi lors des manifestations féministes et porté en symbole de la volonté des femmes à disposer de leur propre corps. La campagne « not a bretzel » a fait fleurir sur les murs de nos rues des représentations du clitoris en interrogeant notre méconnaissance à ce sujet. Le développement des méthodes d’imagerie médicale nous permet, enfin, d’avoir une vision d’ensemble du clitoris et de découvrir réellement cet organe. Les travaux de l’urologue australienne Helen O’Connell ont beaucoup aidé à ce sujet : en 1998, elle entame une longue série d’études, d’abord sur le périnée, puis sur le clitoris, et met à jour son innervation dense et ses liens avec le reste de l’anatomie. On comprend enfin son aspect tri-dimensionnel. En 2016, Odile Fillod imprime le premier clitoris en 3D à taille réelle, et diffuse le fichier librement. Le grand public réalise alors sa méconnaissance de cet organe : chacun est surpris de voir sa taille et son envergure.
Le suspense a assez duré, voilà à quoi ressemble vraiment le clitoris :
La partie externe du clitoris en haut de la vulve, la plus connue, n’est qu’en fait une partie
minime : c’est le gland (comme le pénis !), tout en haut de l’organe complet. Tout le reste de l’organe est interne, et c’est là l’une des raisons de l’ignorance globale du milieu scientifique durant ces longs siècles (bien que le sexisme et le patriarcat ont leur rôle aussi). Le clitoris est donc composé de 4 branches qui entourent l’entrée du vagin : deux corps caverneux qui forment les piliers du clitoris, et deux corps spongieux ou bulbes. Le clitoris mesure au total 11 à 13 centimètres (comme le pénis !).
Lors de l’excitation sexuelle, le clitoris gonfle et entre en érection (comme le pénis !).
On le comprend, le clitoris et le pénis sont le résultat de la différenciation lors du
développement embryonnaire d’un même attribut, le tubercule génital. En d’autres termes, le fœtus est doté d’un tubercule génital, c’est-à-dire un sexe indifférencié, ni féminin ni masculin. Les informations inscrites dans le patrimoine génétique du fœtus provoquent le déclenchement de vagues hormonales, grâce auxquelles ce tubercule se distinguera, soit en pénis, soit en clitoris.
Le clitoris est le seul organe du corps dédié uniquement au plaisir. 8000 terminaisons
nerveuses l’innervent. À titre de comparaison, 3000 terminaisons nerveuses innervent la pulpe de chacun de nos doigts. Le clitoris est toujours l’organe à l’origine du plaisir sexuel, que ce soit par stimulation interne ou externe. Ainsi, la distinction entre les orgasmes clitoridiens ou vaginaux n’existe pas, mais est plutôt le résultat des théories psychanalytiques freudiennes. En effet, Sigmund Freud considérait l’ « orgasme vaginal » comme la seule forme de jouissance adulte et mature. Il décrivait a contrario l’orgasme par stimulation externe comme celui des petites filles, signe d’une sexualité désorganisée et immature. Ces théories ont d’ailleurs grandement participé à la construction du tabou autour du clitoris.
Lors d’une pénétration, ce sont les corps spongieux, gonflés par l’excitation, qui sont stimulés
et provoquent la sensation de plaisir (même si on peut rappeler que seulement 20 à 30% des femmes disent pouvoir atteindre l’orgasme par une pénétration).
Dans les rues, dans les manifestations, dans les discussions familiales, dans les manuels
scolaires, on évoque et on voit le clitoris. Le tabou se lève petit à petit. Peut-être sommes-nous en train de sortir de ce que Maïa Mazaurette et Damien Mascret1 qualifièrent d’ « excision culturelle » :
le clitoris a été tu, tabou, caché et il est enfin montré au grand jour. Aujourd’hui, il est brandi comme le symbole de la réappropriation par les femmes de leur corps, pour revendiquer leur plaisir et ce, sans lien avec la fonction reproductive.
1 Maïa Mazaurette et Damien Mascret (2007). La revanche du clitoris. Paris : La Musardine, collection L’attrape-
corps, 123 p.
Juliette CHEVET
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